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Communiqués des sections
Section SNJ Lorraine

L'Est Républicain

« Avec eux », mais sans nous !


Depuis quand un journaliste a-t-il pour mission de soutenir l’économie locale ?


« Le soutien à l’économie locale », depuis quand cela relève-t-il des attributions d’un journaliste ? C’est pourtant bien ainsi qu’a été présentée dans notre boîte aux lettres la nouvelle rubrique sortie du chapeau de notre rédaction en chef, avec effet immédiat. Où il est question d’exposer sous les projecteurs la plupart des secteurs, métiers et filières économiques à l’heure du déconfinement. Avec multiples développements à l’appui. La liste n’en est évidemment pas laissée à la discrétion de qui de droit, mais décidée en haut lieu.

Charge ensuite aux soutiers de la rédaction d’exécuter aveuglement les ordres à dates fixes. Outre la charge de travail supplémentaire que cette nouvelle rubrique ajoute sur les épaules de rédactions déjà mises à rude épreuve ce printemps, cette petite nouveauté post-confinement ne manque pas de soulever quelques questions éthiques. L’intitulé même de la rubrique, « Avec Eux », laisse peu de doute sur son ADN : il s’agit bien d’œuvrer conjointement. D’ailleurs, de quel ADN s’agit-il réellement ? Celui de l’investigation, de l’indépendance rédactionnelle et d’un traitement sérieux et équilibré de l’information, ou celui de l’événementiel, du partenariat et du « soutien à l’économie locale » ?

Certains sujets se seraient bien sûr assez spontanément invités sur nos claviers. Mais le caractère systématique de la rubrique impose d’emblée angles et contraintes. Sans compter que l’esprit critique n’est fatalement pas de mise. Comment être « contre » en quoi que ce soit, puisqu’on annonce d’emblée être « avec » ?

Toutes les précautions dont s’entoure le mode d’emploi transmis par notre rédacteur en chef, drapé dans des principes de façade (Mais bien sûr que non, il ne s’agit pas de publireportage ! En tout cas, faisons en sorte que ça ne se voie pas trop !) sont surtout révélatrices du danger qu’il nous fait encourir à tous. Et dont il est le premier conscient.

Chaque année, chaque trimestre même, on se voit contraint de rappeler que rédaction et publicité doivent s’en tenir à leurs stricts prés carrés. Pas pour des raisons de gloriole, comme on aime à le caricaturer, mais pour des raisons de crédibilité d’un journal dont la bonne réputation sur ce point ne peut que profiter à l’ensemble des services.

Ce déconfinement ne doit pas s’accompagner d’une violation des principes généraux qui ont établi ce pacte de confiance entre L’Est Républicain ou Vosges Matin et leurs lecteurs : « Faire connaître en relatant les faits d’une manière équilibrée et impartiale ; faire comprendre par une analyse sans parti pris ». Telle est aussi la mission du rédacteur en chef, « garant du respect de la fonction journalistique dans sa spécificité ». Et non directeur de chambre de commerce et d’industrie ou de maître de cérémonie des remises des trophées des collectivités ou des ailes de cristal.

Or comment ne pas redouter que ce nouvel exercice aggrave le soupçon de collusion dont les lecteurs (et non-lecteurs) ont déjà trop tendance à nous accabler ? Les difficultés rencontrées par l’ensemble de la société, aussi sérieuses soient-elles, ne doivent pas servir de prétexte à tout mélanger, cette fois de façon irréversible.

Sauf erreur, L’Est Républicain et Vosges Matin revendiquent toujours leur rang au sein de la presse libre et indépendante. Indépendante donc, aussi, du tissu économique. Elle n’en est ni l’ennemie, ni l’amie. Ni la collaboratrice. Même en temps de crise.
 

Nancy, le 11 Mai 2020

Thèmes : Éthique

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