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VIOLENCES CONTRE LES JOURNALISTES

« Nous ne pouvons accepter de devenir les boucs émissaires de la société »

Tribune parue dans Le Monde du 11 janvier 2019


Face à l’escalade de la haine envers les journalistes, un « sursaut citoyen » s’impose, tant dans les rangs des « gilets jaunes« que chez certains politiques et dans l’ensemble de la société souligne, dans une tribune au « Monde », Vincent Lanier, Premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes.


 

Les journalistes sont-ils responsables de tous les maux de la société ? Depuis huit semaines, et le début du mouvement dit des « gilets jaunes », les actes de violences se sont multipliés à l’encontre des professionnels de l’information, accusés d’être, selon les cas et les points de vue, soit « à la solde du pouvoir » et « aux ordres de leurs patrons milliardaires, soit « trop complaisants » vis-à-vis de ce mouvement social.

Après les premiers incidents du samedi 17 novembre et des jours suivants – journalistes pris à partie, encerclés, interpellés voire bousculés – qui avaient déjà conduit les directions des chaînes d’information à prendre des mesures pour protéger leurs reporters, une violence décomplexée s’est déchaînée au fil des semaines, le plus souvent contre des équipes de télévision, les plus visibles et les plus exposées­, mais pas uniquement. Aux menaces, intimidations verbales et insultes sur les réseaux sociaux – malheureusement le quotidien de notre société du XXIe siècle –, se sont ajoutées les agressions physiques, dans une sorte d’escalade de la haine, orientée contre les salariés des médias.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, dénonce et condamne avec la plus grande fermeté l’ensemble de ces exactions, indignes d’une démocratie. Quand aujourd’hui, en 2019, en France, des consœurs et confrères journalistes sont contraints de ne plus afficher leur appartenance à telle ou telle chaîne, que des reporters ne peuvent plus aller couvrir une manifestation sans la présence d’un vigile, c’est un vent mauvais qui souffle sur la liberté de la presse.


Escalade incompréhensible

Quand des manifestants expulsent les journalistes de la voie publique après un vote à main levée, confisquent le matériel d’un reporter, tentent de bloquer la parution des journaux parce qu’un article n’a pas plu, ce n’est plus la presse, mais son pluralisme, et la démocratie qui sont remis en cause. Si la critique de la presse est saine, logique et légitime, et si la défiance d’une partie du public vis-à-vis de la profession peut se comprendre au regard de certains dérapages médiatiques ou des mots de trop de quelques éditorialistes qui ne représentent qu’eux-mêmes, aucune colère ne saurait justifier la violence contre les journalistes, qui sont avant tout des travailleurs des médias.

Les journalistes pris à partie, insultés ou agressés sur le terrain sont souvent aussi précaires que les manifestants qui les agressent. Le SNJ apporte son soutien à tous les journalistes de terrain blessés ou pris à partie ces derniers jours, en particulier nos confrères et consœurs de BFMTV particulièrement ciblés.

Cette escalade de la violence est d’autant plus incompréhensible que jamais un mouvement social n’avait fait l’objet d’un traitement journalistique d’une telle ampleur, que ce soit de la part des chaînes d’info en continu ou de l’ensemble des médias. Mais cette haine ne vient pas de nulle part. Elle est le résultat des écarts verbaux d’une bonne partie du personnel politique, qui est allé beaucoup trop loin ces derniers mois dans le « médiabashing », dans une sorte de « trumpisation » du débat public, à l’image de certains élus de la République ou de certaines personnalités politiques, pas tous adeptes fervents de nos principes démocratiques, qui continuent à souffler sur les braises, à nier ou justifier les violences actuelles.

 

Ne pas occulter les violences policières

Pas toujours incontrôlés, ces dérapages qui restent le fait d’une minorité ne sauraient occulter les violences policières dont ont été victimes des centaines de manifestants, et une trentaine de journalistes. Pour la plupart photoreporters ou vidéastes, français ou étrangers, ces journalistes ont été empêchés de travailler, matraqués ou atteints par des tirs de Flash-Ball lancés à hauteur de visage, au nom d’une politique du maintien de l’ordre qui continue à s’appuyer sur l’utilisation de grenades potentiellement létales.

En tant que journalistes, confrontés à une dégradation constante de nos conditions de travail et à la précarisation galopante de nos métiers, nous ne pouvons accepter de devenir les boucs émissaires de la société, et de servir de punching-ball au milieu de cette crise.

En tant que syndicalistes et citoyens, nous nous sentons en phase avec certaines aspirations des gilets jaunes, quand il s’agit de défendre les libertés et la justice sociale. Face à la colère qui s’exprime, nous ne pouvons que déplorer l’absence de réponse d’un pouvoir aux abois, qui envoie la société dans le mur.

 

Complaisance et sensationnalisme

En tant que militants du principal syndicat de journalistes de la profession, nous restons persuadés que la résolution de cette crise ne peut pas passer par la répression, et de nouvelles mesures liberticides telles que les interdictions de manifester, le fichage des individus, ou les poursuites « préventives » contre d’éventuels fauteurs de troubles.

Face à cette situation inédite, le SNJ en appelle à un sursaut citoyen, dans les rangs du mouvement des « gilets jaunes » qui se revendique de la citoyenneté, et dans l’ensemble de la société. Ce sursaut doit concerner tout autant les responsables politiques de tous bords, qui ont fait de la haine des médias leur fonds de commerce, que les directions et les hiérarchies des médias, trop souvent complaisantes avec le sensationnalisme, au nom de la course à l’audience, au détriment de la réflexion journalistique.

Encore une fois et plus que jamais, le SNJ appelle la profession à prendre le temps du recul nécessaire, en toutes circonstances, pour rendre compte de l’actualité avec la plus grande objectivité, dans le respect de la hiérarchie de l’information et de nos règles éthiques. Seule la qualité de l’information, son honnêteté et son pluralisme, pourront permettre de réduire la fracture entre la profession et une partie de nos concitoyens.


Par Vincent LANIER,
Premier secrétaire général
du Syndicat national des journalistes



Retrouvez la tribune du SNJ sur le site du journal Le Monde.

 

Paris, le 11 Janvier 2019

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