Formulaire de recherche


SNJ - 33 rue du Louvre - Paris 75002 - 01 42 36 84 23 - snj@snj.fr - Horaires


La commission de la carte

Le SNJ à la Commission

Bien plus qu’un rectangle de plastique…

Preface d’Eric Marquis à la 2e édition du livre d’Olivier Da Lage « Obtenir sa carte de presse et la conserver » (Victoires Editions)

En 2010, le nombre de cartes de journalistes professionnels a diminué (37 007 cartes attribuées contre 37 390 en 2009). Une première dans l’histoire de la carte de presse depuis plusieurs décennies.
La principale raison de cette contraction numérique est la précarité qui dévaste la profession depuis de nombreuses années. Les entreprises de presse suppriment des postes par dizaines, par centaines. Les embauches, en CDI, comme les piges, sont de plus en plus rares. Les jeunes ne trouvent pas de travail, ou très difficilement, après des années de « galère », même ceux qui sortent des meilleures formations.
Près d’un quart des journalistes détenteurs de la « carte de presse » sont précaires (pigistes, CDD…) ou chômeurs (cette proportion s’élève à 50 à 60 % pour les premières cartes). Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Beaucoup n’ont pas ou plus la carte – et ne sont donc pas comptabilisés dans ces statistiques – car ils ne parviennent pas à satisfaire les conditions légales : le journalisme comme « occupation principale, régulière et rétribuée »… Les « tarifs » baissent, le revenu moyen des journalistes diminue [1].
Outre la précarisation, l’autre bouleversement auquel doivent faire face ceux qui font profession d’informer est la diversification de l’univers des médias, l’éclatement des modes d’exercice du journalisme.

Qu’est-ce que le journalisme ? Selon la loi, « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources » (Code du travail, art. L. 7111-3).
On le voit, le législateur ne définit pas le journaliste professionnel par la nature de ses activités mais par ses conditions d’exercice. Aussi, des esprits forts en concluent que la carte serait attribuée uniquement ou essentiellement selon des critères financiers.
Cette critique est facile, mais infondée. Car, si le statut a instauré en 1935 une définition tautologique, il a aussi confié à une commission de professionnels, composée à parité de journalistes élus par leurs pairs et de représentants des patrons de presse, le soin d’attribuer ladite carte. Ainsi, la loi « donne à la Commission un assez large pouvoir d’appréciation », relevait Olivier Da Lage [2]. Et, depuis près de 80 ans, la Commission s’attache à « remplir les trous » de la définition légale.
Dans la pratique, la grande majorité du temps passé par les « commissaires » est consacrée aux cas « limites ». Précarité et éclatement compliquent singulièrement ce travail : même s’ils restent minoritaires, les cas « limites » se multiplient… et se compliquent. Pierre Delimauges, mon prédécesseur à la présidence, membre de la Commission pendant 21 ans, se souvient qu’à ses débuts « on voulait préserver le “pré-carré” […] Il fallait avoir le contrat, des éléments qui disaient qu’on était journaliste, si on avait le bulletin de salaire, la convention collective, etc., sinon on n’avait pas la carte de presse » [3].
Si le nombre de cartes n’a pas cessé d’augmenter jusque 2010, c’est parce que, face à la précarité et la diversification de la profession, la Commission a de longue date mis au point des critères pour répondre à des situations que la loi ne prévoyait pas. Cet effort d’adaptation a porté sur toutes les conditions énoncées par la loi.

« Activité principale, régulière et rétribuée ».

La Commission vérifie que le demandeur exerce au moins à mi-temps, ou, faute de référence horaire, que ses revenus issus du journalisme dépassent en moyenne mensuelle la moitié du Smic. Il y a vingt ans, ce « plancher » était aligné sur le Smic. S’il en était toujours ainsi, des milliers de journalistes pigistes n’auraient pas la carte !
Quant aux journalistes privés d’emploi, la carte leur est délivrée de façon plus souple pour leur permettre de « rebondir » moins difficilement. D’une manière générale, la situation des consœurs et confrères en difficulté fait l’objet d’un examen très attentif. La Commission a aussi ajusté sa pratique pour la carte des « journalistes honoraires ».

« Dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse »

Le nombre de journalistes professionnels qui ne travaillent pas pour des entreprises de presse reconnues a explosé ces derniers temps. Tout en restant extrêmement ferme dans le cas de structures dont l’objet principal n’est pas l’information du public, mais l’édition, la communication (publique ou privée), le commerce, etc., la Commission s’est donné des critères pour pouvoir délivrer la carte dans les autres cas, ceux qui se situent sans ambiguïté dans le monde de l’information : sociétés de production audiovisuelle, nouveaux médias…
Il est de plus en plus fréquent que le travail du journaliste soit destiné à des éditeurs ou diffuseurs reconnus, mais que l’employeur soit une autre entité, ou que le journaliste ne soit pas salarié, mais rémunéré en droits d’auteur, en honoraires, comme autoentrepreneur, intermittent du spectacle… Toutes situations qui ne correspondent pas au statut du journaliste, dont la loi dit qu’il est salarié et auquel elle accorde des dispositions (clauses dites de conscience ou de cession) indissociables du salariat. On peut mesurer l’ampleur des dégâts quand on constate que même l’Etat-employeur, à travers des sociétés nationales de l’audiovisuel par exemple, contourne la loi en faisant rémunérer certains journalistes correspondants à l’étranger par des structures locales, sans lien avec le siège parisien.
Ce sont là des pratiques à propos desquelles les débats sont les plus vifs en réunion plénière : faut-il refuser la carte au risque de pénaliser le journaliste, qui le plus souvent n’est pour rien dans ce « hors piste » ? Attribuer la carte au risque de consacrer voire encourager la violation du statut, dont la carte est elle-même une pièce centrale ?
Dans sa préface à la première édition de ce livre, le président Richard Lavigne ne cachait pas les désaccords qui opposent parfois les membres de la Commission à propos de correspondants locaux de presse (CLP) dans la presse régionale, certains d’entre eux étant en fait de vrais journalistes pigistes abusivement employés comme CLP… selon les représentants des journalistes.
Dictées par le pragmatisme, prises au cas par cas, les décisions de la Commission rencontrent bien souvent l’incompréhension. Certains journalistes et observateurs ne comprennent pas que la Commission n’est pas un « super inspecteur du travail », qu’elle n’a pas le pouvoir (ni l’intention ?) de faire respecter la loi par les entreprises. La balle est ici dans le camp des institutions représentatives du personnel, voire des juges, et certainement des pouvoirs publics.
Il faut mettre au crédit de ces derniers une avancée décisive en ce qui concerne les sites Internet non rattachés à une entreprise de presse (« pure-players »). Dès les premières années de l’info en ligne, à la fin du siècle dernier, la Commission présidée par Olivier Da Lage a mis au point des critères permettant d’attribuer la carte aux collaborateurs de ces sites, alors que la loi était muette. En incitant les entreprises à prévoir dans leurs statuts l’information du public, et à appliquer la Convention collective des journalistes, la Commission a enclenché un « cercle vertueux » – du moins chez les employeurs qui aspiraient à intégrer le monde de la presse reconnue. Ainsi, des centaines de journalistes n’ont pas pâti du vide juridique et ont pu commencer ou poursuivre leur carrière dans les territoires vierges du numérique en ne perdant pas le statut.
Le deuxième épisode s’est joué lors des Etats généraux de la presse écrite, convoqués par la présidence de la République fin 2008. J’ai été l’un des (trop rares) journalistes admis à ce « remue-méninges », où je participais au groupe « Presse et Internet » animé par Bruno Patino. Ces travaux ont notamment abouti à l’instauration par la loi du statut d’éditeur de presse en ligne, permettant que les sites d’information soient reconnnus, comme les autres organes de presse, par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Internet entre ainsi progressivement dans le « droit commun » des entreprises de presse. Ce qui permet à la Commission d’attribuer la carte en conformité avec la loi, sans plus considérer la nature de l’entreprise comme un problème.

« L’exercice de sa profession »

Un peu court ! A cause des non-dits de la loi (ou grâce à eux), c’est bien sur la nature, journalistique ou pas, du travail effectué, que la marge d’appréciation de la Commission est la plus largement sollicitée. Ce qui est souvent méconnu dans les analyses portant sur le travail de la Commission, relevait Olivier Da Lage dès 1994, c’est « la part considérable que prennent dans les débats les considérations sur le caractère journalistique d’une tâche, d’une publication ou d’une émission, et le rôle déterminant que cette réflexion tient dans la décision d’attribution ou de refus » [4]. D’où la nécessité que les « commissaires », qui prennent les décisions d’attribution de la carte, soient des journalistes et des employeurs ancrés dans la réalité de la profession dans sa diversité. Cela vaut – on l’oublie trop souvent – aussi bien pour les membres de la Commission de Première instance au plan national, pour les correspondants régionaux, que pour les représentants de la profession (minoritaires par rapport aux magistrats) en Commission supérieure.
En quoi consiste l’activité journalistique ? Vieux débat ! Faute de référence officielle, ce qu’en dit le projet de Code de déontologie du « comité des sages » issu des Etats généraux de la presse (octobre 2009) me convient grosso modo :
« Le journaliste a pour fonction de rechercher, pour le public, des informations, de les vérifier, de les situer dans un contexte, de les hiérarchiser, de les mettre en forme, et éventuellement de les commenter, afin de les diffuser, sous toute forme et sur tout support. » Aucun membre de la Commission de la carte n’a jamais exprimé la volonté de faire le travail des inspecteurs des impôts. Le contraire n’est pas vrai : des services de l’administration fiscale s’estiment plus compétents que la Commission de la carte pour décider qui est journaliste. Certains agents des impôts refusent par exemple de reconnaître la qualité de journaliste à des rédacteurs-graphistes, à des secrétaires de rédaction… Pour les membres de la Commission de la carte, qui ne sont pas des bureaucrates « hors sol » mais des professionnels de l’information, ces métiers relèvent pleinement de l’activité journalistique.
Les documents de référence sont ici les grilles de qualification par forme de presse annexées à la Convention collective des journalistes. Mais la Commission va parfois plus loin. Ainsi, ces dernières années, elle s’est fixé des critères pour apprécier si la carte doit être délivrée aux documentalistes, aux iconographes… Pour le numérique, où il n’y a pas de grilles, la Commission donne, au cas par cas, des cartes à des webmaster, à des modérateurs, à des animateurs de communautés, etc.
De plus en plus souvent, s’ajoute à l’interrogation sur la nature de l’activité le doute sur l’employeur, le cadre d’exercice. C’est par exemple le cas dans l’audiovisuel quand – phénomène de plus en plus fréquent avec la multiplication des chaînes – des émissions ne relèvent pas clairement de l’information, mais plutôt d’un mélange info-divertissement (« infotainment »). Dans la même logique de « mélange des genres, l’évolution de l’organisation du « management » des entreprises de presse n’est pas sans conséquences : de plus en plus de journalistes prennent des responsabilités de gestion.
Dès lors qu’un doute surgit, le dossier donne lieu à un examen approfondi, des précisions sont demandées, les commissaires (nationaux et régionaux) enquêtent, sur la nature des tâches. « Il est ainsi fréquemment arrivé, témoignait Olivier Da Lage, qu’un dossier pourtant bien présenté se heurte à un refus de la Commission, car le candidat, voulant souligner ses responsabilités dans l’entreprise, indique ainsi que les tâches de gestion ou de publicité constituent l’essentiel de son activité » [5].

Parmi nos priorités, j’insisterais sur l’équité. Que l’on ait affaire à une « star » des médias ou, par exemple à un confrère « anonyme » de la presse professionnelle, de la presse locale, les mêmes critères doivent s’appliquer.

« Les journalistes, qui s’octroient la mission de faire connaître le vaste monde à leurs semblables, sont souvent, de tous les humains, ceux qui connaissent le plus mal leur petit monde à eux », écrivait Jean-François Revel [6]. Si la loi donne à la Commission de la carte (CCIJP) la seule mission d’attribuer ou de renouveler la Carte d’identité des journalistes professionnels (CIJP), c’est un observatoire sans pareil du journalisme professionnel. Depuis quelques années, la Commission a franchi un seuil qualitatif et quantitatif pour mieux faire connaître la profession, en ouvrant ses fichiers (dans le respect de la confidentialité des données personnelles) pour une étude annuelle de l’Observatoire des métiers de la presse écrite [7]. Un travail inédit, extrêmement riche, malheureusement très peu relayé et exploité, dans les médias [8].
Cette politique d’ouverture de la CCIJP vers l’extérieur, et en premier lieu vers la profession, Olivier Da Lage l’a mise sur les rails, d’abord lors de ses mandats à la présidence de la Commission, notamment quand il a planifié le lancement de son premier site Internet (ccijp.net). Ensuite en multipliant les écrits et interventions [9], au point de devenir une des « personnes-ressources » dès qu’il s’agit d’organiser une réflexion sur le journalisme professionnel. Enfin et surtout en publiant en 2003 Obtenir la carte de presse et la conserver, l’ouvrage de référence sur la carte d’identité des journalistes professionnels.

A l’heure où une part croissante de journalistes professionnels connaissent des difficultés sans précédent depuis qu’existe leur statut, le constat de Jean-François Revel se vérifie quand on lit un confrère affirmer que la carte est « un morceau de plastique renouvelé chaque année, distribué aussi généreusement qu’un journal gratuit à la sortie du métro » [10]. Pour tous ceux qui cherchent encore cette bouche de métro à gogos, le livre d’Olivier Da Lage s’est imposé, depuis sa première édition en 2003, comme LE « mode d’emploi » de la carte de presse, dans la profession et au-delà. Comme un utile complément à la communication de la Commission elle-même, en premier lieu son site ccijp.net. Sans oublier les conseils fructueux que chacun peut recueillir auprès des représentants de la profession à la Commission, et des organisations représentatives, journalistes et des employeurs.
Dans un contexte de crise aigüe de la presse et de perte de confiance du public à l’égard des journalistes, la Commission est souvent au cœur des réflexions développées ici ou là, comme l’illustre, depuis les Etats généraux de la presse, l’idée récurrente de lui confier de nouvelles compétences, par exemple en matière de déontologie. Elle le doit sans doute à une plus grande visibilité, mais surtout à un travail collectif – bénévole – empreint de rigueur et d’impartialité. Un môle de stabilité dans la tempête ?

Eric Marquis
Président de la Commission de Carte d’identité des journalistes professionnels (2011-2012)

Notes

  • [1] Outre la CCIJP (ccijp.net), l’Observatoire des métiers de la presse publie des chiffres détaillés, obtenus à partir des données disponibles à la Commission de la carte.
  • [2] « Les critères de professionnalisme de la Commission de la carte » (in L’Identité professionnelle des journalistes, Actes du colloque de Strasbourg, 25 et 26 nov. 1994, Alphacom CUEJ). Reproduit sur le site d’Olivier Da Lage
  • [3] Un entretien avec Pierre Delimauges
  • [4] « Les critères de professionnalisme de la Commission de la carte » (in L’Identité professionnelle des journalistes, Actes du colloque de Strasbourg, 25 et 26 nov. 1994, Alphacom CUEJ). Reproduit sur le site d’Olivier Da Lage
  • [5] « Les critères de professionnalisme de la Commission de la carte » (in L’Identité professionnelle des journalistes, Actes du colloque de Strasbourg, 25 et 26 nov. 1994, Alphacom CUEJ). Reproduit sur le site d’Olivier Da Lage
  • [6] Jean-François Revel, Le Voleur dans la maison vide, Plon, 1997, cité par Denis Jeambar dans Marianne, 4 juin 2011.
  • [7] Outre la CCIJP (ccijp.net), l’Observatoire des métiers de la presse publie des chiffres détaillés, obtenus à partir des données disponibles à la Commission de la carte.
  • [8] Il faut néanmoins saluer la double page de Libération du 8 janvier 2010.
  • [9] Voir le site d’Olivier Da Lage
  • [10] Eric Decouty, La Dictature du Moi-je, Plon, 2007 (p. 61).

 

le 04 Avril 2012

accès pour tous