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Communiqués de presse

Le SNJ attaque le groupe Niel

Groupe Paris-Turf : la descente aux enfers


Au sein de l’intersyndicale et avec le CSE, le SNJ attaque le groupe Niel pour fraude au prepack cession et fraude au PSE pour son rachat du groupe Paris-Turf. Le cabinet Brihi-Koskas défend les salariés. Après un premier renvoi, l’affaire a été plaidée lundi 7 septembre devant la Cour d’Appel de Paris. Mise en délibéré le 13 octobre. Mais pourquoi est-on arrivé là ?

 

Le Groupe Paris-Turf est le fruit d’une longue guerre commerciale entre les Editions En Direct (société aixoise fondée dans les années soixante par Jean-Claude Seroul, dont les titres emblématiques sont Tiercé Magazine, Paris Courses ou encore Bilto) et les titres dits « parisiens » (Paris Turf et Week-End), qui, après plusieurs changements de propriétaire, appartiennent dans les années 2000 aux Editions France Libre. Adossée à un fond d’investissement (Montagu Private Equity), la société aixoise rachète successivement Week-End et Paris-Turf. C’est ainsi que naît le Groupe Paris-Turf, dès lors en situation de quasi-monopole sur le marché de la presse hippique.

 

Président du Groupe depuis 2010 et devenu actionnaire majoritaire en rachetant les parts (67%) du fonds d’investissement en 2014 dans des circonstances nébuleuses (selon une indiscrétion de la mandatrice judiciaire, « ce monsieur n’aurait pas mis un euro »), Jacques-Henri Eyraud accède à la présidence de l’OM fin 2016. Pour le Groupe Paris-Turf, la descente aux enfers commence. JHE quitte l’exécutif du Groupe et promeut l’équipe dirigeante en place, notamment M. Hugues Quilain, alors directeur financier au poste de Président, et Mme Cécile Rouveyan (secrétaire générale), avec pour mission la vente d’un Groupe devenu encombrant, alors que ce même personnage déclarait en CSE lorsqu’il devenait actionnaire majoritaire : « Paris-Turf, c’est l’œuvre d’une vie ! »…

 

Ainsi, entre 2017 et 2018, plusieurs offres d’achat (pourtant estimées autour de 35 à 40 millions d’euros) seront jugées insuffisantes par l’actionnaire principal. Il faut dire que la vente est plombée par une dette obligataire de l’ordre de 140 millions d’euros, que détiennent les actionnaires (Jean-Claude Seroul, le créateur de l’entreprise, possède toujours 33% du capital), dette contractée lors de la création du groupe.

 

Depuis, la gestion de la direction, pour le moins, interroge : investissements sur fonds propres dans des « capteurs » (plus de 5 millions d’euros, sans retour sur investissement) ; développement et poursuite d’activité de deux sites de paris en ligne (leturf.fr et geybet.fr), dans un marché demeuré atone depuis l’ouverture du marché des paris en ligne (2010), non vente d’un des deux à l’un des acteurs du marché en 2018 et qui a abouti à la fusion des deux sites de paris l’an dernier ; acquisition de titres d’équitation (Cheval Magazine et Cheval Pratique), sans jamais être en mesure de les rationaliser et de les rendre ne serait-ce qu’à l’équilibre, aujourd’hui revendus à perte à l’un des vendeurs initiaux (Editions Larrivière) ; et, pour finir, un déménagement coûteux du site parisien d’Aubervilliers à Châtillon (autour de 700.000 euros) l’an dernier alors que l’entreprise rencontrait déjà des difficultés !

 

Il apparaît évident que la direction du groupe Paris-Turf, par ses fautes de gestion (à dessein ?), a joué un rôle déterminant dans le déclin de l’entreprise (9 millions d’EBITDA et 7 millions de trésorerie en 2017, réduits à néant). Et ce sans tenir compte des différentes interventions du CSE au cours des dernières années : interrogations régulières sur la santé du groupe, avec en réponse un discours de la direction, contre toute attente, se voulant rassurant, enclin de déni ; venue de l’actionnaire majoritaire, Jacques-Henri Eyraud, à la demande du CSE, dans le cadre d’une réunion extraordinaire, fin 2019, celui-ci déclarant en substance « je suis un actionnaire passif, faites confiance à votre équipe dirigeante »… ; droit d’alerte du CSE déclenché le 15 janvier 2020 (les Commissaires aux Comptes avaient également ouvert deux droits d’alerte, en août 2019 et janvier 2020) ; avis négatifs dans le cadre des dernières informations/consultations, notamment sur les sujets de la situation économique et financière, d’une part, et des orientations stratégiques, d’autre part, etc.

 

En pleine crise sanitaire (alors que les courses hippiques sont à l’arrêt, que la majorité des salariés a été mise en chômage partiel et que les titres ne paraissent plus), un article de la Lettre A révèle que le Groupe fait l’objet d’une procédure de « prepack cession » : interpellé par le CSE, la direction confirme.

 

Le « prepack cession », c’est quoi ? Une procédure issue du droit américain, introduite en France il y a quelques années, sous le mandat du Président Hollande. C’est une procédure accélérée qui consiste, pour une entreprise en difficulté, à faire nommer un mandataire judiciaire, avec pour mission de trouver une ou plusieurs offres de reprises. La première partie de cette procédure reste confidentielle. Dans notre cas, la nomination de Maître Carole Martinez a été effectuée fin janvier. La stratégie de « terres brulées » menée par la direction aboutit fin mai à la déclaration en cessation de paiement et la mise en redressement judiciaire du Groupe avec un délai d’observation de deux mois. C’est la deuxième phase, celle-ci publique, de la procédure.

 

Parmi les offres de reprise, deux offres globales s’affrontent. Celle de NJJ (la holding presse de Xavier Niel), qui prévoit notamment le licenciement de 100 salariés (sur un effectif de 250), la fermeture du site d’Aix-en-Provence (90 salariés) et l’arrêt notamment de titres emblématiques tels que Tiercé Magazine, Bilto ou Stato, pour un projet flou orienté vers le numérique. L’offre de RPI (Riccobono, imprimeur historique du Groupe), associé à Mayeul Caire, un éditeur de presse hippique numérique reconnu, dans lequel Philippe Abreu, le patron d’Aix est partie prenante, recentrée sur l’activité historique, avec également un développement numérique nécessaire. Sur le volet social, l’offre RPI est mieux-disante, reprenant 25 à 30 postes supplémentaires, avec un abondement de 800 000 € au PSE. Cette offre recueille le soutien du CSE.

 

Lors de l’audience du Tribunal de Commerce de Bobigny (22 juin), M. Xavier Niel se présente en personne à la barre et, par l’intermédiaire de Maître Carole Martinez (devenue administratrice judicaire du Groupe), et au mépris du droit, améliore l’offre NJJ en s’alignant sur l’abondement négocié par les représentants du personnel avec RPI. Maître Martinez argue également que la différence de postes repris entre les deux offres porte essentiellement sur les salariés rémunérés à la pige (ne seraient-ils que quantité négligeable ?) pour finir de balayer l’argument social. Avis des juges et du procureur vont dans ce sens, justifiant leur position par l’assise financière de NJJ (mais quelle société pourrait s’opposer à M. Niel ?). La décision est mise en délibéré.

 

Mais, au sortir de l’audience, elle ne fait aucun doute : le Groupe Paris-Turf sera attribué à NJJ. Un préavis de grève illimité est déposé par l’intersyndicale. Parmi les revendications : la reprise de postes supplémentaires et une enveloppe plus importante pour l’abondement au PSE. Sans surprise, le Tribunal de Commerce, par décision en date du 30 juin, attribue le Groupe Paris-Turf à NJJ. Les revendications des salariés obtiennent, elles, une fin de non-recevoir et, au terme, de deux semaines de grève, l’intersyndicale met un terme à l’action.

 

Avec ses conseils, le cabinet Brihi-Koskas, le CSE et l’intersyndicale décident de déplacer le combat sur le plan juridique, en faisant appel nullité de la « vile » décision du Tribunal de Commerce. Après un premier renvoi, l’affaire a été plaidée lundi 7 septembre devant la Cour d’Appel de Paris. Mise en délibéré le 16 octobre.

 

Depuis le 1er juillet, date d’entrée en jouissance de NJJ, la descente aux enfers se poursuit. Pour les salariés non repris, traumatisés et ballotés entre administrateurs judiciaires et AGS, un premier paiement (pour le salaire du 1er au 21 juillet) intervient à peine après deux mois sans percevoir un euro, entraînant parfois des situations catastrophiques. Pour les salariés repris, une organisation qui part à vau-l’eau, des titres qui paraissent en mode dégradé et des ventes à 50% de leur potentiel. Pour les trente salariés aixois, ce sont des conditions de travail précaires (production et sanitaires), sur un site de La Duranne à l’abandon, sans présence (jusqu’à la semaine dernière) d’un membre de la direction, site qui devra été abandonné avant la fin du mois pour être remplacé par du télétravail et un espace coworking (sur initiative d’un salarié).

 

Depuis le début de cette procédure (et bien avant ?), tout semble avoir été mis en œuvre par l’ancienne direction - dont la plupart des membre (5 sur 7) sont repris par NJJ, pour un montant annuel de rémunérations de 1,3 million d’euros et qui a touché ses bonus en début d’année (informations incluses dans la Data Room) ! – et les administrateurs judiciaires pour attribuer un nouveau groupe de presse à Xavier Niel, à moindre coût. Le prix d’achat ? Un million d’euros. Le PSE, lui, est financé par les AGS, donc la collectivité. Un comble pour l’une des plus grosses fortunes de France ! En effet, c’est l’ancienne structure, en cessation de paiement, qui procède aux licenciements. Un plan social au rabais, de plus. Certains salariés licenciés, en particulier les journalistes à forte ancienneté, qui ne peuvent donc activer la clause de cession, verront, en effet, leur indemnité de licenciement conventionnelle limitée du fait du plafonnement des AGS.

 

En conclusion : au-delà du cas spécifique, désastreux, du Groupe Paris-Turf, le prepack cession est une atteinte au droit fondamental des journalistes et une menace pour les entreprises de presse. C’est aussi la préoccupation du SNJ et de ses avocats.

Paris, le 08 Septembre 2020

Thèmes : Indépendance

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