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Congrès national, Déontologie

Congrès de Strasbourg

Journalisme éthique : la campagne de la FIJ

La campagne pour un journalisme éthique, lancée par la Fédération Internationale des Journalistes, a été présentée pour la première fois en France, le 15 octobre 2009, dans le cadre du 91e congrès du SNJ. Aidan White, secrétaire général de la FIJ, était présent au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, où il a prononcé le discours suivant.

Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Avant tout, je suis heureux de faire parvenir à chacun de vous un message de solidarité et de bonne volonté de la part de la Fédération internationale des journalistes et de ses membres partout dans le monde et, par la voie de la Fédération européenne des journalistes, la FEJ, ici en Europe.

Chers Collègues, je ne me souviens pas d’une époque où l’importance de se focaliser sur le journalisme et la valeur du travail qui y est associé aient été aussi vitale.

Le journalisme est aujourd’hui attaqué de toutes parts.

Il est mis au défi par les employeurs des media qui sont confrontés à l’impact de changements structurels dans l’industrie des media et des marchés en mutation qui sont en train d’imposer des coupes dramatiques en matière d’emplois et de conditions de travail des journalistes, non seulement en Europe mais partout ailleurs dans le monde.

Au cours des dernières années, des dizaines de milliers d’emplois ont été perdus dans le journalisme en Italie, en France et en Grande-Bretagne et ailleurs, au berceau de la démocratie européenne.

Les employeurs des media sont frappés de panique. Menacés par une baisse des bénéfices et confrontés à un modèle de marché qui, suite à l’Internet, ne fonctionne plus, ils imposent des coupes sauvages dans les salles de rédaction, qui à leur tour affaiblissent les normes du journalisme.

Ils sont engagés, semble-t-il, dans un processus de suicide de masse car restreindre les normes du journalisme ne fera qu’accroître l’ampleur du déclin. Si les media décidaient de ne pas fournir une information fiable, utile et accessible, cela ne ferait qu’encourager les gens à regarder ailleurs.

Ce processus est dommageable non seulement à notre profession et à l’industrie, mais est également une menace pour la démocratie.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde de paradoxe. Nous n’avons jamais eu autant accès à l’information. Nous n’avons jamais eu autant de liberté d’expression. Internet a créé un merveilleux kaleidoscope global de pluralisme de l’information.

Mais en même temps, nous avons moins accès à une information fiable. Alors que nous assistons à une contraction des media d’information, il y a moins de débouchés pour le journalisme professionnel. Il y a moins de liberté des media et, en conséquence, nous constatons un déficit de démocratie.

C’est pourquoi la FIJ au cours des deux dernières années a mobilisé toute son énergie dans une campagne nouvelle et essentielle : l’Initiative pour un journalisme éthique.

Cette campagne consiste à rehausser le statut du journalisme. Il s’agit de créer davantage de respect pour le travail accompli par le journaliste, pas uniquement au sein du media où les employeurs mettent en danger sans relâche les principes de notre profession, mais dans la société dans son ensemble.

Notre combat pour un journalisme éthique ne consiste pas seulement à maintenir l’emploi et à sauvegarder l’intégrité professionnelle de nos syndicats ; il s’agit de renforcer et de raviver le rôle du journalisme comme une composante essentielle de la vie démocratique.

En faisant campagne pour des normes éthiques, nous mettons l’accent sur une distinction nette et importante du rôle et de l’importance du journalisme et des media indépendants dans la société moderne.

Pour bien comprendre ce rôle, il est nécessaire d’être clair sur ce qui rend le journalisme et la liberté de la presse différents de la liberté d’expression.

La liberté d’expression est importante pour la démocratie, mais en tant que telle, elle est différente de la liberté de la presse.

Quand les individus ont le droit de dire ce qu’ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils s’expriment librement.

C’est ce que l’on appelle un discours « engageant le soi », comme l’a décrit avec précision la philosophe irlandaise Onora O’Neill.

On n’a jamais eu autant recours qu’aujourd’hui à ce droit à la liberté d’expression. Grâce à Internet, nous sommes envahis d’informations. Grâce aux réseaux de blogs et aux réseaux sociaux, chacun peut converser avec le monde entier. En tant que démocrates, nous saluons ce fait.

Mais ce n’est pas du journalisme.

La liberté de la presse et le journalisme professionnel, ce n’est pas la même chose que l’expression libre « engageant le soi ».

Le journalisme engage “les autres”.

Le journalisme est une forme restrictive de l’expression qui est imposée par les obligations de notre responsabilité professionnelle - en bref, nous sommes contraints à nous efforcer de dire la vérité, nous devons être impartial et équitable, nous devons avoir conscience des conséquences de nos paroles, de nos articles et de nos reportages audiovisuels.

Ceci constitue les principes essentiels d’un journalisme éthique.

Ils sont ce qui rend le journalisme distinct et différent du blogs et de la voix des citoyens, qui sont souvent erronément désignés comme le « journalisme citoyen », un terme qui est grossièrement utilisé pour décrire une forme de journalisme qui ne s’accompagne d’aucune responsabilité et qui est donc rendue absurde par le fait qu’il ne peut y avoir de journalisme sans un niveau de responsabilité morale et éthique.

Notre Initiative pour un journalisme éthique est une campagne qui a touché une corde sensible à travers le monde du journalisme.

Ce livre, je l’admet, est un morceau de propagande non dissimulée qui fait l’éloge de notre profession et fait l’éloge d’un journalisme de qualité. Il a été traduit en arabe et en russe et sera lancé en français à la fin de cette année.

Je suis content de dire qu’il a généré davantage de débats et de discussions sur notre capacité, nous dans le mouvement syndical, à se dresser pour le journalisme.

Nous devons jouer une rôle de premier plan pour soumettre le débat au gouvernement et au sein de nos communautés pour défendre la valeur que nous accordons à notre profession.

J’étais fier de voir au cours du week-end dernier combien nos collègues en Italie avaient réussi à mobiliser près de 250000 personnes à Rome pour protester contre les attaques scandaleuses, de la part du régime Berlusconi, à l’encontre de la liberté des media

J’ai été impressionné par les actions entreprises par le SNJ pour éveiller les consciences au danger de menaces envers la démocratie provoqué par la crise des media.

J’ai aussi été encouragé par les actions menées en Grande-Bretagne, en Allemagne et à travers l’Europe où les journalistes se sont dressés pour leur profession.

La FIJ est là pour y ajouter son soutien. Nous avons établi une nouvelle coopération avec les autres groupes professionnels des media - les éditeurs, les employeurs, les diffuseurs - et nous avons lancé un nouvel Intergroupe de media au sein du nouveau Parlement européen.

Nous avons alerté la direction de tous les groupes politiques importants sur la profondeur de la crise dans les media et sur la nécessité, pour l’avenir des media, d’être au cœur de la politique de l’Union Européenne dans les années à venir.

Nous avons rencontré la Commission Européenne et obtenu du soutien pour les nouvelles actions européennes d’envergure en vue de défendre le journalisme.

Se réunir à Strasbourg est aussi un signe symbolique du défi à relever - car ici au Conseil de l’Europe se trouvent beaucoup de gouvernements qui ont besoin d’être rappelés à l’ordre pour leur échec à défendre le journalisme et qui sont coupables de honteuse négligence.

Dans beaucoup de pays - en Russie et dans les Etats de l’ancienne Union Soviétique - et dans beaucoup de nouveaux états membres de l’Union Européenne - les journalistes souffrent du fléau de la corruption dans le journalisme et les media demeurent sous l’influence excessive des politiques.

Trop souvent, je regrette de le dire, le Conseil de l’Europe fait de belles déclarations en matière de démocratie et de droits de l’homme tout en n’agissant pas suffisamment pour exposer ceux de ses membres qui agissent avec un manque de respect scandaleux des droits des journalistes et des droits démocratiques des citoyens.

Avec l’initiative pour un journalisme éthique, nous bousculons cette autosatisfaction politique.

Nous appelons à une nouvelle relation avec l’état qui soit plus respectueuse de la valeur de service public des media et qui mette l’état devant ses responsabilités à appuyer davantage le développement des media sans compromettre l’indépendance de notre profession.

La question est simple : si l’équilibre traditionnel entre médias de service public et médias privés n’est plus en mesure d’offrir le pluralisme d’information dont a besoin la démocratie européenne, qui l’offrira dans l’avenir et qui en paiera le prix ?

Si nous voulons préserver les valeurs éthiques et un paysage médiatique indépendant, nous avons besoin d’innovation et d’esprit créatif.

Nous avons besoin de modèles nouveaux pour le financement d’un journalisme pour la démocratie. Déjà, aux Etats-Unis, on observe de nouvelles initiatives, de nouvelles fondations et des plans visant la propriété et la gestion de nouveaux médias par les employés.

Nous avons besoin de nouvelles institutions, peut-être en ayant recours à des fonds publics, pour soutenir le journalisme d’investigation et autres reportages que les employeurs des media ne veulent plus financer.

Nous devons investir davantage dans la formation aux media et dans des programmes d’apprentissage aux nouveaux media pour aider à la fois jeunes et vieux à comprendre le nouveau monde de l’information et à faire les bons choix lorsqu’ils naviguent dans les dédales de l’Internet et de la toile mondiale.

Et nous avons besoin de systèmes de fiabilité des nouveaux medias qui soient crédibles et indépendants, qui contribuent au combat pour la liberté des media et des normes élevées en matière de journalisme.

Si nous croyons au pluralisme, si nous désirons de l’harmonie entre nos diverses communautés, la fin de toutes formes de racisme et de discrimination, si nous désirons que tous les citoyens - riches et pauvres - soient informés et engagés en toute connaissance de cause, nous devons investir dans un journalisme qui nourrira et portera haut la démocratie pour tous.

Les gouvernements ont un rôle positif et essentiel à jouer et nous, dans le journalisme et dans nos syndicats, nous devons prendre la tête du mouvement en nous engageant dans un nouveau débat sur ce qu’il y a urgence à faire.

Nous devons aussi nous engager dans un nouveau débat avec la société civile. Au cours des années, les media ont été critiqués pour leur arrogance et pour avoir été à la botte des « puissants » - à la fois du monde politique et du monde des affaires.

L’avenir du journalisme dépend de notre capacité à convaincre les gens de bonne volonté dans la société que le journalisme - qui repose sur les principes traditionnels d’humanité, de solidarité et de progrès - est toujours l’âme de la démocratie.

Nous devons mettre en place de nouvelles coalitions autour de notre campagne pour un journalisme éthique. Nous devons veiller à ne pas être perçus comme plaidants au seul bénéfice d’une élite professionnelle.

Le journalisme dans ce qu’il a de meilleur est celui qui contribue à faire comprendre aux citoyens le monde qui les entoure. Nous devons rappeler aux gens son rôle central dans nos vies au quotidien. Sans cela, à l’âge de l’Internet, il n’y aura plus que de l’ignorance, une plus grande incertitude et davantage de craintes.

Et finalement, en s’appuyant sur l’initiative pour un journalisme éthique, nous devons nous interroger à nouveau sur une manière nouvelle et vivifiante de concevoir notre métier.

Nous devons rallier des gens jeunes à notre cause.

Nous devons lutter contre l’atmosphère de déprime et de pessimisme qui pèse tellement sur notre industrie actuellement.

Nous devons montrer que nous pouvons nous adapter au monde actuel et profiter des grandes occasions que nous offre le nouvel âge de l’information et dessiner un nouveau visage au journalisme qui soit sérieux et digne de foi.

Les syndicats combattent pour les droits des journalistes et des citoyens depuis plus de 100 ans - la FIJ a coordonné ce travail , avec intermittence, depuis plus de 80 ans.

Le temps est venu pour nous de revenir aux racines de la profession. Nous devons être fier de ce que nous avons accompli jusqu’à présent.

Cela signifie que nous devons nous enorgueillir de notre indépendance mais nous devons aussi nous ouvrir à plus d’attention et à la fiabilité envers les personnes que nous servons.

Les temps sont durs, en effet. Parmi nos membres, trop de journalistes sont victimes de graves turbulences dues au changement. Nous devons travailler ensemble à développer des systèmes de transition au sein du nouveau monde du journalisme qui soient plus humain et qui ne détruisent pas le métier de journaliste.

Mais c’est aussi le moment d’être optimiste.

Au cours des derniers mois, je me suis rendu en Russie, en Afghanistan, en Indonésie, en Somalie, au Moyen-Orient, en Amérique - et partout j’ai entendu le même refrain : le journalisme est en crise, mais partout nos syndicats sont engagés dans la bataille pour un changement constructif.

Croyez-moi, le journalisme a un grand avenir. Mais il ne se réalisera que si nous construisons un paysage de l’information qui mettre l’éthique de la profession au cœur de notre démocratie. Je sais que la SNJ s’est déjà plongé avec énergie et enthousiasme dans le combat ici en France, y compris en appelant à des Assises de la presse et de l’audiovisuel . Nous nous en réjouissons.

Nous soutenons vos efforts et nous vous empressons a mettre votre énergie, votre enthousiasme et votre dynamisme dans la campagne globale que nous sommes occupés à développer en vue de son lancement à notre prochain Congrès mondial à Cadix en mai prochain en Espagne.

A cette réunion, nous affirmerons une vérité toute simple qui nous a accompagnés dans le monde du journalisme depuis plus de 200 ans - les temps peuvent changer, les instruments de la communication peuvent évoluer, la façon dont nous travaillons aussi - mais le journalisme éthique demeure inchangeable. Ceci, plus que jamais, constitue notre message dans une période troublée comme la nôtre.

Merci.

au Congrès du SNJ, Strasbourg, le 15 Octobre 2009

Thèmes : International (FEJ, FIJ)

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