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Santé-Prévoyance, Pigistes, Négociations de branches

Le livre noir de la prévoyance pigistes (1)

Le régime de prévoyance pour les journalistes pigistes existe depuis l’accord de branche de 1975, qui constitue l’annexe III à la convention collective nationale de travail des journalistes. Il a été successivement géré par l’Anep Bellini, l’Anep générale, puis Audiens depuis 2003 sans, semble-t-il, qu’un contrôle sérieux et régulier ait pu s’exercer sur sa gestion.

Après des demandes réitérées, les partenaires sociaux – tout au moins les organisations syndicales de journalistes – ont enfin pu avoir accès à un bilan partiel (sur les exercices 2009 à 2013) de ce dispositif. Le contenu en est affligeant ! Les prestations versées ne représentent en moyenne que le sixième des cotisations (patronales et salariales) prélevées, ce qui montre clairement que la plupart des journalistes pigistes ne bénéficient pas de leurs droits. Un vaste sujet qui se retrouve sur la table de la négociation de branche ouverte en mars 2014, pour traiter de la mise en place d’une complémentaire santé pour tous les journalistes pigistes. Et qui, de facto, se voit étendue à une remise à plat du fonctionnement du régime de prévoyance.

D’ores et déjà, trois questions se posent à nous :
- Pourquoi et à quel moment les cotisations obligatoires à ce fonds de prévoyance sont-elles passées des taux prévus par l’accord de 1975 (« 0,55% à la charge des entreprises ; 0,28% à la charge des intéressés ») à ceux pratiqués aujourd’hui (respectivement 0,413% et 0,21%) ? Y a-t-il eu concertation des partenaires sociaux ?
- Qu’est-il advenu des sommes perçues et non consommées ? Ainsi, sur les cinq derniers exercices, près de 5,9 millions d’euros au total sont arrivés dans les caisses d’Audiens. Sur cette somme, un peu moins de 450.000 euros ont été versés en prestations, tandis que 500.000 euros étaient inscrits au titre de « provisions ». Que sont devenus les 4,9 millions restants ?
S’il se confirmait que ces sommes, au lieu de bénéficier aux journalistes pigistes de quelque manière que ce soit, rejoignent le pot commun et contribuent à l’équilibre des contrats collectifs souscrits par les entreprises auprès d’Audiens, nous serions alors confrontés à un vrai problème d’ordre éthique. Comment peut-on effet admettre qu’une population déjà fragile, maintenue (comme on le verra ci-dessous) dans un état de sous-information quant à ses droits, confrontée à des obstacles dès qu’il s’agit d’en bénéficier, paie sans retour pour les contrats des salariés sur postes permanents, bénéficiant pour leur part de contrats de prévoyance et de complémentaire santé souvent très généreux grâce à la mutualisation induite et à la participation des entreprises, à hauteur de 1 à 2 % du salaire pour la prévoyance, 3 à 4% pour la complémentaire santé ? Il y a là de quoi éloigner durablement les journalistes pigistes du paritarisme et des dispositifs de mutualisation et de solidarité.
- Quelles sont les raisons de la sous-utilisation des prestations de la prévoyance par les journalistes pigistes ? Répondre à cette question et, surtout, y remédier sont une priorité absolue à la lumière de ce qui est écrit plus haut. Pour compléter l’analyse purement statistique présentée par Audiens, le SNJ a interrogé plusieurs dizaines de journalistes pigistes, afin d’avoir une approche d’ordre « qualitatif » et de chercher à comprendre ces raisons. Le document présent fait la synthèse et tire des leçons des réponses obtenues par le syndicat, ainsi que des témoignages recueillis « sur le vif » via une liste de discussion non syndicale sur Internet et par des délégués du SNJ dans leurs entreprises. Un constat éloquent, qui plaide pour une refonte du système, ou en tout cas son réaménagement sévère et sérieux.

(1) Un constat en quatre points

Un manque criant d’information. C’est ce qui saute d’abord aux yeux à la lecture des réponses et témoignages. Il y a chez les journalistes pigistes une ignorance quasi totale du dispositif de prévoyance auquel ils cotisent, ainsi qu’une confusion fréquente avec la complémentaire santé. La responsabilité est partagée : pris par leur souci de maintenir leur niveau de commandes et la nécessité de livrer leur travail dans les temps, les journalistes pigistes ne prennent pas toujours le temps de s’informer sur leurs droits. Or, à part quelques rares exceptions, il est clair que leurs employeurs ne font rien pour leur venir en aide, surtout s’ils ne sont pas pigistes « réguliers ». Audiens est également montrée du doigt pour l’absence d’information en direction des journalistes pigistes et le manque de clarté de son site sur les droits liés à la prévoyance contractuelle obligatoire, les journalistes pigistes semblant être aux yeux de l’institution une préoccupation mineure comparée au « poids lourd » des intermittents du spectacle.

Une situation qui n’incite pas à s’arrêter. Peu de journalistes pigistes semblent tomber malades. Quand cela arrive, peu demandent un arrêt de travail. Peu font valoir leurs droits auprès de la Sécurité sociale, encore moins auprès de leurs employeurs et d’Audiens prévoyance. Il arrive même, mais plus rarement, que des journalistes pigistes ne prennent pas ou ne déclarent pas leur congé maternité. Plusieurs causes à cela :
- Nombre d’entre eux ne souhaitent pas se faire remarquer et préfèrent ne pas insister auprès de leurs employeurs pour faire valoir leurs droits. Ils essaient une fois, deux fois éventuellement mais pas plus, de peur de passer pour des empêcheurs de tourner en rond et de perdre les piges qu’ils ont, surtout quand elles sont régulières. Même un journaliste pigiste aguerri et attendu avec des rubriques régulières peut être fragilisé par un arrêt, surtout s’il se prolonge. Il doit préparer son arrêt, travailler deux fois plus avant son congé maternité ou une hospitalisation programmée, et reprendre très vite ensuite pour rattraper et ne pas voir sa place prise par un autre.
- Certains ne connaissent pas leurs interlocuteurs au service paie ou RH. D’autres sont dissuadés de toute démarche par leurs responsables hiérarchiques. Et ceux qui veulent faire valoir leurs droits se heurtent le plus souvent à une fin de non recevoir.
- Les démarches sont trop compliquées, à commencer par la sécurité sociale qui demande des informations difficiles à obtenir des employeurs car elles s’accommodent mal de la rémunération à la pige. En plus de la crainte de se faire mal voir mentionnée plus haut, les journalistes pigistes qui sont fatigués, malades, voire même alités, préfèrent conserver leur énergie pour retravailler au plus vite et conserver leurs piges, plutôt que se mobiliser dans l’adversité pour réunir les documents nécessaires et faire valoir leurs droits.
- Aux yeux de beaucoup, notamment ceux qui sont aux premiers niveaux de rémunération, le jeu n’en vaut pas vraiment la chandelle (voir chapitre suivant). Ce que confirme la tendance révélée par Audiens lors de la réunion bilan de juillet 2014, à savoir que le nombre de demandes d’indemnisation croit avec le niveau de rémunération des demandeurs.

Des prestations bien trop modestes. La garantie incapacité n’intervient qu’après 45 jours d’arrêt de travail (même une jambe cassée – six semaines d’immobilisation – n’ouvre droit à rien), ce qui pose de sérieux problème de revenus quand le journaliste pigiste n’a pas l’ancienneté chez ses différents employeurs ou n’arrive pas à faire respecter le maintien du salaire conventionnel. Dans tous les cas, le montant versé en cas d’incapacité longue (plus de 45 jours) est dérisoire. Dans les 10 euros par jour pour les journalistes pigistes ayant gagné moins de 17.200 euros sur les 12 mois précédent (soit 30% des journalistes pigistes selon les statistiques de l’Observatoire des métiers de la presse) ou dans les 15 euros par jour pour la majorité des journalistes pigistes, ceux ayant gagné entre 17.200 et 35.548 euros dans l’année. Pour approcher les 35 euros par jour, il faut avoir gagné plus de 71.196 euros sur 12 mois soit près de 6.000 euros par mois, un revenu rarissime chez les journalistes pigistes.
L’allocation maternité est également dérisoire. Elle démarre à 4 euros par jour, s’établit à 5 euros par jour pour la majorité des journalistes pigistes et ne s’élève au mieux qu’à 11 euros pour les journalistes pigistes ayant gagné plus de 71.196 euros en 12 mois Ajoutons qu’en cas de maternité, un nombre non négligeable de journalistes pigistes, en dépit d’une activité importante, ne parviennent pas à atteindre le seuil fixé par l’assurance maladie pour percevoir des IJ. Du coup, elles perdent également le bénéfice de l’indemnité Audiens, puisque celle-ci est un complément aux IJ.
Quant à la garantie décès, le capital est limité en montant à la moitié des piges versée l’année précédente. Et doublé en cas de décès accidentel. Pour les salariés mensualisés, elle est généralement égale à plusieurs années de salaire et augmentée s’il y a des enfants. L’écart devient abyssal en cas de décès accidentel survenant lors d’une mission dangereuse. En effet, les employeurs dans leur quasi totalité omettent de souscrire pour leurs journalistes pigistes l’assurance pour risques exceptionnels prévue à l’article 39 de la convention collective des journalistes. Celle-ci garantit au journaliste décédé en mission dangereuse un capital égal à dix fois son salaire annuel. Pour le journaliste pigiste non couvert par cette assurance, il n’est prévu qu’un capital équivalent au montant de ses piges sur l’exercice précédent.

Un parcours du combattant. Au niveau de la Sécurité sociale, les principales difficultés rencontrées sont liées à des exigences administratives incompatibles avec la réalité de la rémunération à la pige (référence à un temps de travail, obligation de stipuler le premier et le dernier jour de travail ce que certains employeurs refusent, calcul des indemnités journalières pénalisant pour les journalistes pigistes ayant des revenus irréguliers, etc.). Une situation rendue encore plus difficile par la mauvaise volonté de bien des employeurs à fournir les attestations demandées par la Caisse primaire d’assurance maladie.
Trop rares sont les entreprises qui pratiquent la subrogation, permettant au journaliste pigiste de continuer à percevoir la moyenne de ses salaires tandis que l’employeur reçoit à sa place les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale. Cette pratique est pourtant répandue concernant les salariés mensualisés.
Les seuils d’indemnisation sont également un obstacle. Pour que la Sécurité sociale verse une indemnité journalière, il faut avoir cotisé au minimum sur un salaire de 9.672 euros sur six mois ou 19.645 euros sur 12 mois. Pour nombre de journalistes pigistes, ces seuils sont parfois difficiles à atteindre, d’autant plus que certains employeurs appliquent d’office et sans leur accord des cotisations maladie et retraite abattues (70 et non 100% du salaire). Ce qui amène des journalistes pigistes à se retrouver sans aucune rémunération ou indemnisation.
Au niveau des employeurs, force est de constater la mauvaise volonté de nombre d’entre eux à appliquer les articles 36 et 42 de la convention collective de travail des journalistes sur le maintien de salaire en cas de maladie, accident du travail et maternité. Alors même que la Cour d’appel de Paris a rappelé, dans son arrêt du 24 mars 2011, que l’amélioration de la prévoyance prévue par le protocole d’étape pigistes ne se substitue pas aux obligations conventionnelles. Soit les indemnités prévues ne sont purement et simplement pas versées, soit les DRH se montrent « tatillonnes » sur les justificatifs à fournir concernant le versement des IJ Sécurité sociale.

le 30 Juillet 2014

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