Affaire Dupont de Ligonnès : l'éthique journalistique portée disparue
C’était la moindre des choses, mais les excuses, remords ou regrets exprimés depuis samedi matin par les directions de nombreux médias ne suffiront pas. Fait-divers hors-normes, l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès est devenue depuis vendredi soir l’illustration parfaite de ce qu’une grande partie du public, à juste titre, reproche aux médias dans leur ensemble : une maltraitance de l’information, provoquée par une absence de rigueur et le syndrome du panurgisme.
Tous les médias n'ont pas fait preuve de suivisme, fort heureusement. Reste qu’une grande partie de la presse française a présenté comme un fait acquis ce qui n’était qu’une hypothèse. Ne parlons pas d’infox, ou de « fake news », mais il s’agit bien là de la diffusion d’une fausse information, que la bonne foi des rédactions n’excuse pas.
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut s’intéresser aux mécanismes qui sont à l’oeuvre tous les jours dans les rédactions, aux négligences dénoncées quotidiennement par les délégués du SNJ, à Paris comme à Toulouse, Lyon ou Strasbourg. Malheureusement, les questions essentielles liées au traitement de l’information, aux pratiques professionnelles, aux règles éthiques, portées par les représentants des journalistes que ce soit dans les réunions de rédaction ou dans les instances représentatives du personnel sont quasi-systématiquement balayées d’un revers de main, dénigrées ou caricaturées par les directions.
Rédacteur de la charte d’éthique professionnelle des journalistes, dont la première version a été publiée il y a plus de 100 ans, le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, recommande encore une fois aux patrons de rédactions de prendre connaissance de ces fondamentaux, dont celui-ci, allègrement piétiné ce vendredi : « La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources ».
Ce n’est pas la première fois qu’une confiance excessive dans les sources policières conduit à ce genre de dérapage. Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade, dans cette affaire, que ce sont les reporters de terrain qui ont levé les premiers doutes, pendant que les hiérarchies des rédactions se gargarisent d’avoir recoupé « l’information » cinq fois auprès de la même source…
Le SNJ rappelle aux directions que le coeur du métier de journaliste est et doit rester le terrain. Or, la vérification de l’information nécessite des moyens humains et du temps... ce que beaucoup de rédactions n’ont plus. Rappelons une nouvelle fois que des conditions de travail dégradées sont un frein à la production d’une information de qualité.
Alors que la défiance du public à l’égard des médias n’a jamais été aussi importante, ce naufrage collectif vient de nouveau de porter un coup terrible à la crédibilité de la profession. Après le public, les journalistes sont les premières victimes de cette course à l’échalote permanente. Ce volet médiatique de l’affaire Dupont de Ligonnès ne révèle pas mais confirme les petits arrangements récurrents avec la rigueur journalistique : combien, chaque semaine, chaque jour, de petites affaires #XDDL ?
Il est grand temps de se poser les bonnes questions.
Alors qu’une partie de la profession travaille avec le SNJ autour de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) à la création d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), ceux qui pensent toujours que le terme déontologie est un gros mot et que tout va bien dans le meilleur des mondes de l’information feraient bien de regarder en face la réalité des pratiques professionnelles. A commencer par la très grande majorité des patrons de presse. Restaurer ces fondamentaux, consolider nos règles éthiques, les expliquer et les faire comprendre au public, c’est ce que ce CDJM se propose de faire. Le SNJ appelle encore une fois la profession à s’inscrire dans ce processus.