Situation alarmante à la Rédaction Nationale
Le 30 mars dernier, l’heure était à la restitution du questionnaire « santé et conditions de travail » concernant les salariés de l’information nationale. Une étude réalisée par le cabinet Cedaet, à la demande, notamment, du SNJ. Plus de 600 personnes travaillant à la direction de l’info avaient répondu à ce questionnaire.
Un monteur raconte que souvent, trop souvent, il travaille avec des journalistes en pleurs, dans un état psychologique alarmant. Le résultat du management pyramidal et d’une pression démesurée de la part de la hiérarchie des différentes éditions.
Dans la salle du 7ème étage de France Télévisions, les élus du Comité Social et Économique (CSE) du siège sont consternés mais pas surpris. S’il n’y avait qu’un seul chiffre à retenir du questionnaire le voilà : 75% des répondants déclarent devoir, dans le cadre professionnel, faire des choses qu’ils désapprouvent. Pour le SNJ, c’est une nouvelle preuve irréfutable du constat fait depuis de nombreuses années. Celui qui a toujours raison, c’est celui qui dirige.
L’indépendance des journalistes est impossible à pratiquer parce que nos journaux télévisés doivent refléter les fantasmes éditoriaux de certains encadrants. Au diable la réalité qui remonte du terrain, le droit moral, les droits d’auteur et la charte d’éthique professionnelle des journalistes.
Plusieurs moyens permettent de s’affranchir de ces fondamentaux et garde-fous de notre métier, à commencer par le Taylorisme, la division des tâches appliquée au journalisme. Autrement dit, un rédacteur ou une rédactrice au montage qui assemble des éléments de reportages est contrôlé(e) par 1, 2, 3 ou 4 chefs. Ces sujets en kit, tout comme les « unitaires », reportages complets faits par une seule équipe, sont modifiés et remodelés par les chefs, le plus souvent sans débat éditorial.
Pendant ce temps, des éditorialistes politiques sont en roue libre, comme le dénoncent de nombreux élus du CSE, régulièrement pris en flagrant délit de commentaires pro-Macron. « Tant que je serai là, il n’y aura aucune consigne politique donnée en termes d’éditorial », se défend le directeur de l’information. On voit le résultat !
Des journalistes forcés de faire quelque chose contre leur gré ? « Si ça arrive, c’est inacceptable », selon Alexandre Kara. Des journalistes en pleurs ? « Même si il n’y a qu’une seule personne qui souffre ici , c’est une de trop », concède M. Kara, qui s’étonne de ne pas être alerté.
Pourtant, la réponse tient en un seul mot : « la peur » de la hiérarchie. Pour un oui ou pour un non, l’encadrement peut faire cesser les collaborations d’un CDD considéré comme récalcitrant... et pour les journalistes en CDI le scénario est un peu différent. « Ici, l’ouvrir, c’est risquer d’être mis au placard », martèlent vos élus SNJ. Et cette fois, la direction ne peut plus être dans le déni : 52% des répondants à l’enquête Cedaet déclarent faire l’objet de mises à l’écart par des éditions ou sur des reportages.
À la rédaction nationale, on appelle cela pudiquement « le casting ». Au SNJ, nous préférons mettre des mots sur les maux : c’est de la discrimination à tous les étages. Discrimination contre certains journalistes qui ne rentreraient pas dans le moule.
« Les mises au placard sont extrêmement rares, il peut y avoir encore une discrimination larvée, et on doit être là-dessus extrêmement vigilant », assure Alexandre Kara. Ces discriminations touchent avec acuité de nombreux responsables et élus syndicaux, à commencer par celles et ceux du SNJ. Votre syndicat condamne ces agissements avec la plus grande fermeté.
Lire ou relire ici le préalable du Syndicat National des Journalistes en PJ.
La situation est alarmante. Et la responsabilité est partagée par les différentes directions de l’information au moins de ces dix dernières années, soulignent vos élus du SNJ qui n’ont jamais cessé d’alerter.
« Vous êtes anxiogène », répondait le plus souvent la direction. Alors, l’enquête du cabinet CEDAET, c’est le Syndicat National des Journalistes et le SNJ-CGT qui l’ont demandée pour notamment mettre en évidence les nombreuses entorses en matière de temps de travail.
Avec la baisse des effectifs due notamment à un plan de Rupture Conventionnelle Collective, la charge de travail est encore plus lourde pour celles et ceux qui ont décidé de rester. Plus de la moitié des répondants (55%) déclare « parfois » faire face à une quantité excessive de travail ; « souvent » pour (34%) des personnes interrogées.
Par ailleurs, 37% des répondants signalent un état de santé « mauvais », voire « très mauvais ». Conséquences : un salarié sur deux (49%) se déclare « souvent » ou « très souvent » stressé, avec des troubles du sommeil, de l’anxiété, des états dépressifs ; des arrêts maladie et un recours à des substances « psychoactives » en lien avec le travail pour environ un répondant sur cinq.
Un constat accablant : pour la hiérarchie, le forfait-jours, c’est « open bar ». 84% des journalistes et personnels techniques et administratifs (PTA) de l’information nationale déclarent dépasser les 44 heures par semaine (une moyenne calculée sur 12 semaines), 48% y sont contraints, souvent à très souvent.
Les 11 heures de repos quotidien ne sont pas respectées pour 80% des répondants (63% parfois, 11% souvent, 4% très souvent). Même pour les salariés au décompte horaire, les dépassements sont assez fréquents pour 29% des répondants, sans bénéficier de compensation pour environ une personne sur 4. Les journalistes qui ont choisi ce système malgré les pressions de la direction (en faveur du forfait-jours), se voient la plupart du temps écartés des missions longues, notamment à l’étranger.
« Ce serait une erreur de croire que tout le monde sait tout faire... mais je ne veux pas de discrimination », soutient le directeur de l’information. Le Cabinet CEDAET explique que, pour mettre en place le forfait-jours, il aurait fallu évaluer d’abord la charge de travail. Il n’en a rien été.
La validité du forfait-jours est d’ailleurs questionnée par l’expert (citant des arrêts de Cour de Cassation), car les salariés ne bénéficieraient pas de suffisamment « d’autonomie » dans l’organisation de leur quotidien. Un entretien spécifique sur la charge de travail et les amplitudes horaires en forfait-jours doit normalement avoir lieu chaque année. Un énorme trou dans la raquette.
À la base, tout est vicié, car 67 % des salariés répondants ne déclarent pas leur temps de travail. Le système informatique permettant le déclaratif (Mon Kiosque) est jugé trop compliqué et 60% des salariés interrogés estiment ne pas être suffisamment informés sur le cadre légal, et les dispositions en matière de temps de travail.
Une élue fait remarquer qu’il est mal vu par certains chefs de service de renseigner le détail de ses journées, car selon l’adage, « un journaliste n’a pas d’horaire ». Là encore, le management par la peur fait des ravages.
« J’ai demandé à ce que les amplitudes horaires soient au maximum respectées, j’ai demandé aux chefs de service de prendre en compte le management, l’éditorial les absorbe un peu trop au détriment de la gestion des femmes et des hommes », selon Alexandre Kara. Malheureusement le mal est profond. Non-respect du code du travail, de l’accord collectif France Télévisions de mai 2013, validité du forfait-jours mise en cause... Des scénarios qui ne sont pas à exclure.
L’employeur, qui pourrait faire l’objet d’une enquête et d’une mise en demeure de l’inspection du travail, tout en s’exposant à une condamnation pour faute inexcusable s’il ne prenait pas en urgence les mesures nécessaires.
Plus grave encore, 80 répondants affirment avoir subi une agression verbale de la part de collègues ou supérieurs, 28 des propos ou comportements sexistes, et surtout... deux salariés déclarent avoir été victimes d’une agression sexuelle de la part d’un collègue ou supérieur hiérarchique. Et l’alerte ne fonctionne pas correctement, car sur les cinq numéros affichés, trois ne fonctionneraient pas, selon le témoignage d’une victime. « À chaque fois on a instruit, rien n’a été couvert et rien ne sera couvert », assure le directeur de l'information Alexandre Kara.
Au passage, à ce jour la direction a du mal à faire une vraie place au Référent Harcèlement du CSE (au siège, c’est Serge Cimino, par ailleurs élu SNJ) dans ses dispositifs en négociation, une fonction pourtant prévue par la loi.
Face au rapport du cabinet Cedaet, le grand patron de l’info avait perdu de sa superbe. Et il y avait de quoi. Cette fois, les belles paroles ne suffisent plus. Il faut absolument des actes forts, concrets, pour prévenir cette souffrance au travail.
Les élus SNJ lui ont fait remarquer qu’il construisait le projet Tempo sur du sable. C’est cette rédaction nationale, éprouvée, affaiblie et en grande souffrance qui est désormais confrontée à la suppression annoncée des éditions nationales, après la fusion des rédactions et la fin du Soir 3.
Le Syndicat National des Journalistes a exigé une pause dans les réformes funestes qui s’empilent dangereusement (Tempo, fusions France Bleu France 3, régionalisation, Campus...). Ce serait le seul moyen pour la direction de prouver enfin que la santé des salariés est une priorité. Une résolution est adoptée par l’ensemble des élus, et tous les syndicats s’y sont associés, dont le Syndicat National des Journalistes.
Voici le lien vers la résolution.
Le SNJ vous conseille de lire attentivement les résultats de cette enquête.
Ici en lien également, vous trouverez les résultats du questionnaire du cabinet CEDAET