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Congrès de Paris

Discours à l'attention du ministre, Franck Riester


Discours prononcé le 18 octobre 2018, à l'Hôtel de ville de Paris, par le Premier secrétaire général Vincent Lanier, à l'attention du ministre de la Culture Franck Riester, dans le cadre de la soirée de gala du congrès du centenaire du SNJ.



Monsieur le ministre de la Culture,

Permettez-moi, au nom de l’ensemble des camarades du Syndicat national des journalistes, de vous remercier grandement de votre présence ici ce soir, dans le cadre du centenaire du syndicat, un événement qui fera évidemment date dans l’histoire de notre organisation, riche de 100 années de combats, au service des journalistes, au service de l’information, au service du citoyen.

Nous aurions presque pu faire connaissance dès ce matin, puisque nous étions, vous le savez, sous vos fenêtres, place du Palais-Royal, en solidarité avec nos confrères et camarades des magazines du groupe Mondadori.

Vous en avez forcément entendu parler, les salariés du troisième groupe de presse magazine français s’inquiètent aujourd’hui de la grande braderie qui s’annonce, si d’aventure Mondadori venait à les jeter dans les bras de Reworld Média, un investisseur qui n’a que faire de la presse, de ses titres, de ses salariés, qui considère l’information comme une simple vitrine destinée à attirer les annonceurs, ainsi qu’il l’a démontré récemment avec les magazines rachetés à Lagardère en 2014.

700 emplois sont menacés chez Mondadori, une casse sociale et éditoriale sur laquelle les pouvoirs publics ne peuvent pas fermer les yeux. La presse magazine et la presse en général, dans toute sa diversité, est le ferment de la démocratie. Laisser faire, aujourd’hui, c’est se rendre complice d’une atteinte au pluralisme, alors même que l’Etat distribue des aides à la presse pourtant destinées à le garantir.

M. le ministre, nous avons beaucoup de choses à vous dire, que nous n’avons pas eu le loisir de dire à votre prédécesseur, ou alors pas directement, ou de manière trop furtive.

Mais nous n’avons pas fait les présentations. Le SNJ reste un syndicat atypique, ultra-représentatif dans la branche professionnelle des journalistes, mais trop petit sur l’échiquier syndical pour ne pas jouer sa tête, sa représentativité, sa survie, à chaque scrutin, dans le nouveau monde des ordonnances Macron, qui organisent le contournement et l’affaiblissement des syndicats de salariés, et ne visent rien moins que d’éliminer du paysage un syndicat comme le nôtre.

Créé le 10 mars 1918, le SNJ est pourtant aujourd’hui un centenaire dynamique et bien portant : le syndicat vient d’être conforté comme première organisation de la profession en recueillant plus de 53% des voix aux élections nationales de nos représentants à la Commission de la carte, devant cinq autres syndicats de journalistes.

On l’a dit souvent, on le répète : il reste beaucoup à faire, pour renforcer le pluralisme et l’indépendance des rédactions, dans un contexte de concentration capitalistique qui a précipité la propriété de la plupart des grands médias entre les mains d’industriels et de milliardaires dont la priorité N’EST PAS l’information honnête et rigoureuse du citoyen.

Le droit d’opposition individuel, instauré par la loi Bloche de 2016, permettant à un journaliste de refuser une tâche contraire à son éthique professionnelle, doit être complété par des dispositions collectives. Il faut aller plus loin, en dotant les équipes rédactionnelles d’un droit d’opposition collectif juridique, qui permette un réel contre-pouvoir dans l’entreprise, sans altérer les prérogatives de l’employeur.

A l’heure où l’on reparle enfin de déontologie journalistique, alors que le ministère a lancé une mission de concertation, avec l’idée d’aboutir à une « proposition opérationnelle » sur la création d’un « Conseil de déontologie de la presse », le SNJ a des propositions à faire, mais la profession ne transigera pas sur deux principes intangibles : d’une part, l’éthique journalistique est avant tout l’affaire des journalistes et des rédactions, et doit le rester. D’autre part, aucune instance ne saurait voir le jour sans les garanties d’une indépendance totale.

Au-delà de cette question de l’auto-régulation de la profession par une instance de déontologie, nous n’oublions pas que les conditions de production d’une information de qualité ne seront pas réunies tant que la profession sera à ce point gangrénée par la précarité, qui affaiblit les collectifs de travail et asservit les rédactions.

Le SNJ dénonce et combat le recours au régime des auto-entrepreneurs, la dernière forme de précarité à la mode, et tous les subterfuges utilisés pour contourner le salariat, qui ont pour effet de déposséder les journalistes de tous leurs droits. Ces pratiques, nocives pour la profession, pour la qualité de l’information, pour la démocratie, sont le fait d’employeurs peu scrupuleux, dont certains ont pignon sur rue, et bénéficient d’aides publiques quasiment sans aucun contrôle ni contrepartie. Il est temps que ça change ! Le SNJ considère qu’il y a urgence à mettre en œuvre une réelle réforme de l’attribution des aides à la presse, permettant leur conditionnement à des exigences sociales et éthiques.

Chaque semaine apporte son lot de mauvaises nouvelles, dans le secteur des médias. Réforme de l’audiovisuel public au chausse-pied, sans ambition éditoriale et sans autre objectif que de fusionner des services, casser le pluralisme, faire des économies sur le dos des nombreux précaires qui font tourner le service public. Plan social en vue à l’AFP et en cascade dans le groupe EBRA, mutualisations et suppressions de postes dans les journaux du groupe SIPA – Ouest France, et dans l’ensemble de la presse régionale, quasi-disparition programmée de la version papier du titre L’Etudiant, catastrophe annoncée dans la presse magazine, chez Mondadori.

Economique, la crise se double d’une crise de confiance, et de défiance, alors que les signaux sont plutôt inquiétants pour les journalistes, partout dans le monde, et même parfois en France, où la « haine » théorisée des médias est devenue pour certains un fonds de commerce politique.

Si la critique de la presse est légitime, la haine des journalistes, instrumentalisée à des fins politiciennes, est un réel danger pour la démocratie. Et pour les journalistes eux-mêmes, bien entendu.

Ainsi, 82 journalistes et professionnels des médias ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, dans le monde, en 2017, et 73 à ce jour depuis le début de l’année. Le laxisme de certains Etats, quand ils ne sont pas eux-mêmes donneurs d’ordre, est une complicité, l’impunité est un encouragement.

Nous n’oublions pas Daphné Caruana Galizia, assassinée à Malte il y a un peu plus d’un an, parce qu’elle dénonçait la collusion entre le pouvoir et la mafia. Nous n’oublions pas Jan Kuciak, ce journaliste slovaque assassiné avec sa compagne en février dernier. Son grand tort était de dénoncer régulièrement la corruption dans les milieux d’affaires et politiques.

Nous n’oublions pas, bien sûr, nos camarades de Charlie Hebdo. C’était il y a trois ans seulement. Nous étions tous Charlie, des millions de Charlie dans les rues le 7, le 8, le 9, le 10 puis le 11 janvier 2015. Qu’avons-nous fait de cet élan, alors que la liberté d’expression, aujourd’hui, et la liberté de la presse, sont chaque jour qui passe un peu plus en péril ?

Prenons la loi sur le secret des affaires, votée en juillet. Cette loi de transposition de la directive européenne, véritable loi-bâillon, a mis en place un nouvel outil de pression, à la disposition des multinationales et des lobbys contre le journalisme d’investigation, mais aussi contre les lanceurs d’alerte et les représentants du personnel. En résumé, contre les citoyens tout simplement, et leur droit à l’information.

Quant à la fameuse loi « Fake News » annoncée par le Président de la République en janvier, lors des vœux à la presse, elle n’apporte aucune solution réaliste au problème posé, mais introduit une dose de censure, et élargit encore les prérogatives du CSA, qui n’est pas une instance indépendante du pouvoir politique. Instaurant un juge de la vérité censé statuer en 48 heures sur ce qui est ou pas une fausse information, sur la base d’une définition de la fausse information qui a changé quatre fois, le texte a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale la semaine dernière, après avoir été rejeté en bloc par le Sénat fin juillet.

Le SNJ l’avait dit dès le mois de mars : il ne s’agit pas de minimiser les effets possibles des « Fake News » -ou « infox »-, notamment en période électorale, mais c’est le travail des journalistes de trier le faux du vrai, à partir des faits.

Laissons les rédactions travailler, et surtout, donnons-leur les moyens de travailler, mais on ne luttera pas efficacement contre les manipulations de l’information par la censure, à l’heure de la viralité de l’information.

Il reste beaucoup à faire pour garantir réellement la protection du secret des sources des journalistes, dans le contexte nouveau de la loi Renseignement, et pour construire un vrai statut protecteur pour le lanceur d’alerte sans qui il n’y aurait plus de source journalistique, et plus de journalisme d’investigation, forcément nécessaire dans ce monde où la communication est devenue la seule règle, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.

Monsieur le ministre, la liberté de la presse doit être libérée du secret des affaires, destiné à protéger les intérêts de quelques-uns contre l’intérêt général.

La liberté de la presse doit être libérée des procédures-bâillons, consistant à abuser des dispositions de la loi de 1881 sur la diffamation, pour faire taire les rédactions.

Fidèle à ses pionniers, à ses racines, à son histoire, le SNJ est prêt à mener de front tous ces combats.

Pour les journalistes, pour l’information, pour le droit du citoyen à bénéficier d’une information indépendante et de qualité.

Merci à tous,

Vive le SNJ !

Et vive la liberté de la presse !
 

Hôtel de Ville de Paris, le 18 Octobre 2018

Thèmes : Information

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